L'origine du monde
Huile sur toile peinte en 1866 par Gustave Courbet.
Dimensions : 46 cm x 55 cm.
Visible au Musée d'Orsay.

Analyse symbolique de l'oeuvre
L'audace de proposer une telle peinture au XIXe siècle, en des temps où la pudeur et la morale étaient de mise, au moins en façade, est évidente. Même si la toile est restée clandestine jusqu'à la fin du XXe siècle, il était sans doute inévitable que ce tableau soit considéré comme une œuvre provocante voire pornographique, compte tenu du contexte de l'époque. Pourtant, était-il réellement dans l'intention de Courbet de choquer ? Rien n'est moins sûr.
Avec le recul des années et la postérité de l'oeuvre, difficile d'y voir quelque intention pornographique, à peine érotique. Contrairement à ce qui a parfois été écrit, ce sexe de femme n'est pas précisé de façon anatomique. Les lèvres sont esquissées par un simple trait. Point de représentation détaillée de la vulve, qui reste cachée. La toison fournie, certainement tout à fait classique pour cette époque, encore abritée des modes de l'épilation, renforce la représentation naturelle, certains diront naturaliste du sujet. C'est cette posture naturaliste qui a été reprochée maintes fois à Courbet et a fait scandale à l'époque.
Mais aujourd'hui, la qualification de naturaliste semble fort réductrice par rapport aux innovations plastiques apportées par la technique de Courbet, préfigurant la vision impressionniste qui allait déferler sur l'histoire de la peinture.
Cette œuvre représente sans malice la beauté d'une femme alanguie, endormie peut-être, un mouvement de drap dévoilant une intimité apaisée. Quel homme n'a t-il pas été ému par cette image de sa bien aimée qu'il capte parfois au détour d'une pose décontractée de sa belle. A la lumière de cet éclairage, le tableau dégage une immense tendresse et peut être vu comme un très bel hommage au féminin.
Si nous prenons en compte le titre de l'oeuvre, on peut bien sûr y voir un hommage à toutes les femmes, la maîtresse comme la mère. Plus encore que l'hommage à la naissance, c'est peut-être de la part de Courbet une volonté de nous mettre face au sexe de la femme comme devant une source mystérieuse. La source est un sujet cher à Courbet, il l'a fréquemment peint. Comment ne pas rapprocher l'Origine du monde de l'étonnante configuration de la source de la Loue, la rivière qui baigne le Pays d'Ornans, sa région natale. Le peintre a représenté cette source à plusieurs reprises, grotte atypique, immense fente dans le rocher de la montagne d'où jaillit la rivière, configuration géologique très particulière et chargée de mystère. Constamment, l'eau y surgit du ventre de la terre, symbole de vie frémissante dont le parcours souterrain dans les entrailles de la roche reste entièrement caché.

On peut également supposer que Courbet a souhaité marquer sa différence en osant représenter la réalité du corps féminin, jusqu'alors très pudiquement idéalisé par ses prédécesseurs sous forme de nus académiques et symboliques. Il s'est aussi mesuré au brio de Ingres en livrant sa version du tableau La source, à la qualité d'exécution digne du maître. Avec l'Origine du monde, voilà Gustave Courbet qui se réapproprie le mythe de la source en tirant le symbole du sexe féminin vers une réalité toute nouvelle en peinture : dévoiler avec tendresse la vérité d'un sexe de femme, contrastant ainsi avec la représentation magnifique mais académique du tableau la Source de Ingres.

Analyse plastique de l'oeuvre
Le cadrage
La composition de l'Origine du monde est habile. Le corps sans visage est solidement ancré dans la diagonale du tableau, ce qui charpente parfaitement l'ensemble. Les cuisses ouvertes partent chacune dans un coin de la toile et verrouillent le sujet, qui ne « glisse » ni d'un côté ni de l'autre.
Le choix du cadrage qui décale le sexe hors de la zone centrale du tableau évite de placer le spectateur dans la seule position du voyeur, tout en renforçant la réalisme de la posture du corps féminin. Effet régulièrement observé en peinture, si le sexe avait été parfaitement centré dans le tableau, la composition devenue symétrique aurait nui à ce réalisme et affaibli le sujet principal. La représentation du sexe volontairement décadré par rapport au centre de la toile, permet de ne pas le proposer comme seule intention. L'oeil n'étant pas automatiquement aspiré ou ramené au centre, le sujet complet apparaît: une femme alanguie.
La difficulté du traitement
Gustave Courbet n'a pas reculé devant la difficulté. Au premier plan, la cuisse gauche du modèle occupe une large surface du tableau et représente un vrai défi de peinture. La cuisse de la belle s'ouvre droit sur le spectateur, de trois quart face. Pas facile de trouver le bon modelé pour ne pas en faire une zone plate, lui donner suffisamment de volume pour bien en percevoir la forme sans que celle-ci ne prenne non plus trop de place visuellement.
Pour donner de la vie à cette chair avec peu de contours, Courbet a su, par des touches légères, précises et bien posées, esquisser délicatement le volume. La chair est aussi très joliment représentée avec des tonalités dont les nuances subtiles à cet endroit du corps, conjuguent de légères ombres et lumières, reflets pâles et transparents de l'épiderme. Il n'hésite pas à faire figurer les légères varicosités typiques de l'endroit, qui nous donne peut-être des indices sur l'âge du modèle, certainement pas une toute jeune fille, ce qui irait dans le sens d'une représentation sans charge érotique exagérée.
L'anatomie incorrecte
Certains ont souligné que l'Origine du monde présentait des incohérences anatomiques. Les spécialistes pourront relever notamment l'emplacement discutable du nombril et le sein gauche curieusement absent sans même un effet de bombé du drap. Peut-être aussi que l'effet de perspective du corps est trop accentué. On sait que Courbet peignait beaucoup de mémoire, ceci constitue peut être une explication de ces quelques approximations. Elles peuvent aussi relever d'une volonté du peintre qui aura travaillé ce corps pour donner une prépondérance visuelle forte à la sensation que donne la vue de cette position, plutôt que de s'attacher à une vérité anatomique. Ce n'est pas la première fois que Courbet prend des libertés avec la réalité.
A propos de l'histoire de l'Origine du monde
L'histoire de l'Origine du monde est un véritable feuilleton. Son parcours chargé de mystère, en prise directe avec son sujet, en fait aujourd'hui l'une des toiles les plus connues de l'histoire de la peinture.
Pourtant le parfum de scandale qui entoure l'oeuvre ne s'est guère manifesté avant les années 1980, l'oeuvre ayant été conservée clandestinement jusqu'alors. Les polémiques et censures notables sont finalement très récentes : lors de la reproduction de l'oeuvre sur un numéro de Art Press en 1982, ou sur celle d'un roman en 1994, sur des profils Facebook en 2011.
L'Origine du monde a été peint par Gustave Courbet en 1866. La toile aurait été commandée par un diplomate turc installé à Paris : Khalil-Bey. Cet ancien ambassadeur de l'empire Ottoman en Grèce et en Russie, amateur de tableaux érotiques, l'aurait accroché dans sa salle de bain et recouvert d'un drap. Cachotterie ? Peur du scandale ? Il semble que Khalil-Bey mit en scène la présentation de cette œuvre pour en faire une attraction à destination de ses nombreux visiteurs que l'on qualifierait aujourd'hui de « people ». Seuls quelques témoignages nous parviennent de cette époque.
Khalil-Bey ne garde pas la toile bien longtemps. Fin 1867 il doit vendre sa collection car il est en faillite. On perd la trace de l'oeuvre : elle aurait changé de mains à plusieurs reprises, aurait été vue par Edmond Goncourt (fondateur de l'académie Goncourt) chez un marchand d'art en 1889. Le dernier propriétaire connu du tableau est Jacques Lacan qui l'acquit en 1955 avec son épouse Sylvia Bataille. Après leur mort, le tableau fut légué par dation au musée d'Orsay, en 1995.
Avant ça, l'Origine du monde ne fut présentée que deux fois au grand public : en 1988 lors d'une rétrospective Courbet aux Etats-Unis, et en 1991 au Musée Courbet, à Ornans, dans une exposition André Masson organisée par Jean-Jacques Fernier, l'un des grands spécialistes de Courbet.
Quelques ressources
Les hypothèses sur le modèle qui aurait posé pour le peintre :
http://www.institut-courbet.com/2015/06/qui-est-le-modele-de-l-origine-du-monde.html
Les scandales contemporains à propos de l'oeuvre :
http://www.francebleu.fr/infos/videos-l-origine-du-monde-de-courbet-un-tableau-au-gout-de-scandale-1579829
« L'Origine du monde, histoire d'un tableau de Gustave Courbet » livre de Thierry Savatier aux Editions Bartillat, 2007.
Point presse sur les suites judiciaires de l'affaire de la censure de l'Origine du monde sur Facebook :
http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/facebook-juge-pour-la-premiere-fois-en-france-pourquoi-nous-sommes-concernes_1681814.html?xtor=RSS-3011