La rencontre avec Bruyas
Courbet fut plus heureux avec le Portrait de Bruyas, amateur de Montpellier, passionné de peinture, qui devint bientôt l'ami intime du peintre et fut pour lui un précieux mécène. Son portrait est une des plus belles œuvres de Courbet.
Encore une fois, il retourne à Ornans, mais il ne cesse pas de travailler. Il peint la Roche de dix heures, le Puits noir, le château d'Ornans et les Cribleuses de blé, qui sont un pur chef-d'œuvre.
Bruyas, qui a acquis un grand nombre de toiles de Courbet, et qui désire en avoir d'autres, invite le peintre à se rendre chez lui à Montpellier. Courbet accepte l'offre et paye son hospitalité par le beau tableau de la Rencontre, deux Portraits de Brayas et les Bords de la Mer à Palavas que Bruyas lui acheta.
De retour à Paris, Courbet prépare l'exposition de 1853; il compte y envoyer ses meilleurs tableaux, y compris l'Enterrement et une nouvelle toile allégorique à laquelle il travaille : l'Atelier. Le jury reçoit onze de ces toiles, mais refuse impitoyablement l'Enterrement et l'Atelier. Au surplus, ce dernier tableau, malgré des détails excellents, ne compte pas parmi les meilleurs du peintre.
Furieux de ce refus, Courbet organise une exposition particulière, où il expose 40 tableaux et 4 dessins. Le prix d'entrée était d'un franc. Le résultat financier de cette opération ne fut pas très brillant, mais elle eut pour effet de secouer l'opinion et d'ouvrir une polémique violente pour ou contre le réalisme dont bénéficia la notoriété du peintre.
Chaque année amène une production plus intense. Courbet ne s'interrompt que pour aller à Ornans où il se livre avec ardeur aux plaisirs de la chasse et où il puise le goût de ces tableaux cynégétiques qui seront un de ses plus beaux titres de gloire.
Au Salon de 1857, il expose les Demoiselles des bords de la Seine, dont nous donnons la reproduction et qui peuvent passer, avec l'Enterrement et les Casseurs de pierres, comme le chef-d'œuvre de Courbet; à ce même Salon figurent la Curée, la Biche forcée à la neige. Le magnifique tableau de la Curée fut acheté 25 000 francs par l'Alton Club, de Boston.
En 1858, Courbet va revoir Bruyas et la côte méditerranéenne; il y peint une Vue de la Méditerranée, à Maguelonne ; de là, il se rend à Bruxelles, puis à Francfort ou il vend pour 11 000 francs la Biche forcée à la neige et la Grande chasse. C'est là qu'il peint le Cerf forcé et le Combat des cerfs, qui figurèrent au Salon de 1861. Ces tableaux sont le résultat des « chasses phénoménales » auxquelles il prend part dans les immenses forêts allemandes. Il fit également à Francfort différents portraits de dames, notamment celui de Mme Erlanger, qui lui fut payé 6 000 francs.
L'année 1859 fut une année vide; Courbet la passa presque entièrement à se reposer ; il entreprit l'illustration de quelques ouvrages mais il ne réussit guère dans ce genre, qui convenait mal à sa manière large et impétueuse.
En 1860, il peint le Portrait d'une jeune fille de Salins, le Naufrage dans la neige, le Cerf expirant, la Femme au miroir, dont les tons de chair, d'une rare finesse, font penser au Corrège. D'un voyage en Normandie, il rapporte le Jardin de la mère Tontain, le Coucher du soleil sur la Manche, l'Embouchure de la Seine.
Au Salon de 1861, il expose son Combat de cerfs, peint depuis trois ans, le Piqueur, le Cerf à l'eau, le Renard dans la neige et la Roche Oraguay. Cette même année, une exposition de ses œuvres obtint à Anvers un éclatant succès.
Puis viennent, en 1862, le Portrait de Corbinaud, le Retour de la Conférence, les Magnolias, Fleurs sur un banc, une Chasse au renard, le portrait de Mlle L… Le Retour de la Conférence, qui représentait des prêtres en goguette, fut refusé au Salon « pour cause d'outrage à la morale religieuse ». Ce n'était, à proprement parler, qu'une satire rabelaisienne et peu méchante. En 1863, il expose Vénus et Psyché, où Courbet montre qu'il peut, lorsqu'il le veut, atteindre cette beauté classique qu'on lui reproche de ne savoir pas exprimer ; puis, la Source du Lison.
L'année 1863 est marquée par la mort de Proudhon, le grand ami de Courbet. Celui-ci fixe les traits du philosophe à son lit de mort dans une toile qui est un chef-d'œuvre. Chaque année apporte son contingent d'œuvres, toutes belles sinon également parfaites. Ce sont : l'Entrée du Puits noir, le splendide Ruisseau couvert, le Val de Chauveroche, le Dessous de Bois, le Portrait de Mme A. de L,… la Comtesse K…, la duchesse Colonna, la Belle Irlandaise, qui est une merveille de grâce et de vie; puis la Villa de Mme de Morny, Deauville, Soleil couchant, les Roches noires, l'Orage, le Départ pour la Pêche, la Fille aux mouettes, la Barque de Pêcheurs, la Solitude, et la Femme au perroquet, l'une des toiles les plus célèbres du peintre, qui figura au Salon de 1867 en même temps que la Remise de Chevreuils, autre chef-d'œuvre de Courbet, qui se trouve aujourd'hui au Musée d'Orsay. Ces deux toiles emportent l'admiration générale, même celle de Théophile Gautier.
Signalons encore les Portraits de M. Nodler ainé et de M. Nodler jeune ; Bords de mer, à Trouville, les Dunes de Deauville, les Chiens de M. de Choiseul, la Baigneuse, bien supérieure à ses Baigneuses, de scandaleuse mémoire; les Braconniers, la Pauvresse de village, le Départ pour la Chasse, la Dame aux Bijoux, la Fileuse bretonne, la Voyante, Courbet de profil et l'Hallali du cerf, acheté par l'État 33 900 francs, pour le musée de Besançon.
Il est représenté au Salon de 1869 par l'Hallali du cerf et la Sieste. Entre temps il peint la Femme à la Vague et les Trois baigneuses, et en 1870, il expose la Falaise d'Etretat et son célèbre tableau de la Mer orageuse que le Louvre*, qui le possède, s'obstine à dénommer inexactement la Vague. Ce magnifique tableau fit taire toute critique, il consacrait définitivement la gloire du peintre.