L'atelier du Peintre tableau de Gustave Courbet

Courbet en prison

Nous avons suivi Courbet, rapidement mais exactement, pendant le cours de sa longue et laborieuse carrière. Quelque opinion qu'on puisse avoir de l'homme, quelque coupables que puissent paraître ses erreurs, on ne saurait lui contester des qualités professionnelles de premier ordre : une superbe indépendance artistique, une irréductible fermeté que n'abattit aucune hostilité et par-dessus tout une prodigieuse puissance de travail et une incomparable maîtrise qui font de lui le peintre le plus fécond et peut-être le plus grand du XIXe siècle.

Il fut transféré à la prison de Sainte-Pélagie, où il occupa la cellule n° 4, située au premier étage. La pièce était spacieuse, bien aérée, mais les tambours placés aux fenêtres enlevaient de la lumière au prisonnier qui se désolait et disait :

- Pourvu que je n'aie pas oublié le soleil !

A peine installé, Courbet songea à peindre. II demanda à pouvoir convoquer un modèle. L'autorisation lui fut refusée sous le prétexte « qu'il n'était pas à Sainte-Pélagie pour s'amuser ». On n'eut toutefois pas le cœur de lui enlever ses pinceaux et ses couleurs. Il ne lui était pas non plus interdit de recevoir des visites : tous ses amis - il en avait conservé beaucoup - s'honorèrent d'autant plus à le venir voir qu'il y avait, à cette époque, quelque courage à le faire. Ses soeurs, toujours aimantes, toujours fidèles au grand frère, adoucirent de leur présence et de leurs consolations les tristes heures du captif.

Dans une pensée touchante, chacun lui apportait des fleurs. Aubaine sans égale pour un peintre reclus, qui n'a pas de modèles et qui ne sait quoi dessiner. Alors, ces gerbes du souvenir lui sont un double réconfort, puisqu'elles lui apportent, avec des marques précieuses de sympathie, les moyens de travailler et aussi d'oublier. C'est alors qu'il peint cette admirable série de fleurs et de fruits où il révèle un côté insoupçonné de son talent. Le peintre de l'Enterrement est devenu peintre de fleurs. A ce genre, si délicat qu'il semble presque un art féminin, il apporte le relief unique de sa palette vigoureuse ; sous son pinceau, les corolles des roses et les contours des fruits se modèlent en force, donnant une saisissante impression de réalité vivante.

Ces petits chefs-d'œuvre naissent sous son pinceau avec une rapidité déconcertante. Une visiteuse lui apporte une gerbe le matin, le soir même il la renvoie, en guise de remerciement, sur une toile délicate et précieuse. Tel est son besoin de peindre que tout sujet lui semble bon.

Un jour, pour animer sa solitude et faire une plaisanterie, il peint sur le mur, à côté de son lit, une tête de femme qui semble émerger des draps du peintre. Le trompe-l'œil est si parfait que le directeur de Sainte-Pélagie, entrant dans sa cellule, reste suffoqué de ce qu'il croit être une grave infraction aux règlements de la prison. Puis, s'approchant, il se rend compte de l'erreur et s'amuse de la farce.

Toutefois, l'absence de mouvement et de grand air influe sur la santé de l'artiste qui périclite et bientôt il est nécessaire de lui faire une opération. Courbet réclame les soins de Nélaton, le chirurgien célèbre, qui s'empresse d'accourir. Bien en cour, l'illustre praticien réclame le transport du malade et l'obtient. Courbet termine sa peine dans une jolie chambre de la clinique du Dr Duval ; il y passe des heures douces, tranquilles, égayées par la présence de la charmante Mme Duval et par la visite de nombreux amis.