La gloire
Les démêlés de Courbet avec l'école officielle, s'ils ont retardé sa fortune, ont beaucoup servi sa réputation. Il n'est plus un inconnu dans le clan des artistes et des lettrés. S'il a des adversaires, il compte également beaucoup d'amis, et très fidèles. Alexandre Schanne, le Schaunard de Murger, nous a laissé de très curieux souvenirs sur la société des peintres réalistes de l'époque et surtout de Courbet dont il était l'ami. C'est grâce à lui que nous connaissons cet atelier de la rue de Hautefeuille où les meubles les plus hétéroclites et les plus dépenaillés voisinaient avec des amoncellements de vessies à couleurs et de brosses à peindre. Il nous le montre devant sa toile, toujours énorme, peignant à grands coups, appliquant la couleur à la brosse, au couteau, au chiffon, voire même au pouce et se préoccupant plutôt de l'harmonie que de la richesse du coloris. Schanne signale aussi une manie de l'artiste. Comme Ingres, sa bête noire, Courbet avait la passion de la musique. Ingres jouait du violon, Courbet composait des chansons qu'il ne croyait pas sans mérite. Il s'était représenté déjà en violoncelliste et en guittarero ; il eut même l'idée de participer à un concours de chant populaire institué par le gouvernement.
Quand il ne travaillait pas, Courbet descendait à la brasserie Andler, fréquentée à cette époque par toute la jeune école artistique et littéraire, ennemie des académies et des classiques. On y maltraitait Racine et Corneille, on y maudissait le classicisme d'Ingres et aussi le romantisme de Delacroix. Courbet connut là Corot, Decamps, Daumier, Français, Vallès, Lorédan Larchey, Murger, Bruyas, tous également exaltés, également bruyants, et soulageant leur bile à force d'imprécations. C'est là qu'il se lia avec Baudelaire, amitié qui fut vive mais courte, les sombres rêveries du poète ayant épouvanté le peintre. C'est là encore qu'il rencontra deux hommes qui, à des titres différents exercèrent une influence considérable sur sa vie : Champfleury et Proudhon.
Champfleury, partisan déterminé du réalisme, devina dans Courbet le talent supérieur et les qualités spéciales qui devaient affirmer et faire triompher cette formule d'art. Il s'attacha à lui, le servit auprès de la critique et des amateurs, fut un conseiller et un ami qui resta dévoué au peintre même après la brouille qui les sépara.
Tout autre fut le sentiment qui lia Courbet à Proudhon. D'origine paysanne tous les deux, une affinité de pensées et d'aspirations les rapprochait. Ils avaient une même aversion de l'injustice et de l'inégalité sociale. Proudhon, plus instruit, trouvait en Courbet un élève enthousiaste, qui cherchait à savoir et qui puisait dans cet enseignement, sans peut-être s'en douter, avec des connaissances plus étendues, des doctrines confusément en germe dans son âme que la parole ardente du philosophe remua violemment et fit monter à la surface. Le Courbet de la Commune est, sans aucun doute, l'œuvre exclusive de Proudhon.
Vint le Salon de 1849. Courbet présenta sept toiles, toutes admises. Il y avait des paysages, des portraits et une scène de genre. C'étaient la Vendange à Ornans, la Vallée de la Loue, la Vue du château de Saint-Denis, les Communaux de Chassagne. Les portraits étaient : Trapadoux examinant un livre d'estampes et l'Homme à la ceinture de cuir. Ce portrait, dont nous donnons une reproduction, est l'un des chefs-d'œuvre de Courbet, par la fermeté de l'exécution et l'extraordinaire harmonie des tons. Cette œuvre magnifique fut achetée par l'État, en 1881, pour 29 000 francs. Après un court séjour au Luxembourg, elle est passée au Louvre puis au Musée d'Orsay où elle se trouve aujourd'hui.