Biographie de Gustave Courbet
En préambule de la biographie détaillée de Gustave Courbet, il nous a semblé intéressant de proposer un texte publié dans la revue l'Art et les Artistes (Octobre 1906 - Mars 1907) écrit par Gustave Geffroy journaliste et historien d'art.
Sa vision plastique de l'oeuvre de Courbet et sa façon sensible de percevoir la personnalité du peintre et, plus généralement, la difficulté de peintre est très intéressante.
Il est à noter bien sûr que les tableaux de Gustave Courbet sont visibles à Paris au musée d'Orsay et non plus au musée du Louvre comme c'était le cas au début du XXe siècle.
C'est l'éternelle histoire. Tous ceux, artistes, littérateurs ou philosophes, qui apportent une idée simple et forte, une conception nouvelle et hardie, subissent la même loi. Il s'est passé pour le maître d'Ornans ce qui s'est passé pour d'autres artistes qui représentent sans conteste l'art français du XIXe siècle : Delacroix, Rousseau, Millet, exclus du Salon, voyant leurs oeuvres criblées des lourdes plaisanteries des journaux et du public, assaillies par les risées et les injures ; Manet et ses œuvres si franches, si individuelles, qui se relient si aisément à la tradition des maîtres ; et tant d'autres, Alphonse Legros, Bonvin, Fantin-Latour, Whisler, Ribot, Degas. Claude Monet, Renoir...
Aujourd'hui, tout est remis en ordre. Ce sont les peintres à succès, ceux qui se figuraient donner le ton à la mode et qui, en réalité, ne faisaient que la suivre, ce sont ceux-là qui sont maintenant noyés dans la mer sans fond et sans limites de l'oubli, et ce sont les raillés, les insultés, qui donnaient leur temps, leur santé, leur vie à leur chimère, ce sont ceux-là qui ont été sacrés comme les glorieux représentants de leur art. Les oeuvres des premiers, jadis couvertes d'or, deviendront le rebut de l'Hôtel des ventes ; pour les oeuvres des seconds, on agrandira le Louvre.
Que sont donc les oeuvres de Courbet, qui ont excité tant de colères, et qui sont aujourd'hui universellement admirées ?
Ce sont des œuvres de « peintre », cela n'a jamais été contesté, mais il faut revenir sur l'opinion courante qui fait seulement de Courbet un peintre de surfaces, un observateur des apparences. On peut répondre que c'est déjà fort important, et que cette nette perception des surfaces, de la matière des choses, cette vision si exacte des dehors, sont indispensables à ceux qui veulent représenter la vérité de la vie, laquelle se manifeste d'abord par ses aspects. Mais, disait-on, Courbet s'en tenait grossièrement aux aspects visibles, ne pénétrait pas au profond des êtres, ne comprenait pas le sens des objets, il se bornait à exprimer le grain de la chair, le pelage des animaux, le tissu des étoffes, la lumière et l'ombre sur les feuillages, sur les eaux, etc.
Par là, on réduisait déjà le talent de Courbet, qui est non seulement un talent qui exprime les surfaces, mais un talent qui exprime les volumes des corps et les plans des paysages. Il a donc le sens de la vérité atmosphérique, le sens des formes et le sens de l'étendue. On accordera bien qu'il n'y a pas de peinture complètement viable sans la science de ces lois. Que le peintre, par surcroît, soit d'une virtuosité sans pareille pour fournir, par la matière peinte, des analogies avec ce qui apparaît des choses, ce n'est pas là une infériorité. Mais il faut insister sur ce fait que Courbet n'est pas uniquement un peintre d’apparences, mais un peintre de substances, et qu'il est aussi un peintre soucieux du rapport des êtres et des choses avec l'atmosphère, avec l'effet déterminé par l'action de la lumière et de l'ombre. Quand on possède ce don de voir, c'est que l'on possède aussi le don de comprendre. Courbet, en effet, comprend et choisit. Il cherche les meilleures conditions lumineuses et sombres pour montrer l'éclat et le mystère des feuillages, des eaux, des corps, des physionomies. Il fait ce qu'ont fait tous les grands peintres : après avoir observé le spectacle qui l'a saisi, sollicité, ému, après en avoir reçu pour toujours une forte impression, après l'avoir comme incorporé en lui.il veut redire sur la toile ce qu'il sait, ce qu'il aime de cette beauté de nature, de cette manifestation de vie, et il cherche alors le moyen pictural de rendre saisissante pour tout le monde cette évocation que ses regards ont transmise à son esprit.
Cette opération, cette double opération visuelle et mentale qu'il accomplit, tous les peintres qui sont des artistes l’accomplissent, et c'est là, en somme, une définition d'ordre général du métier et de la sensibilité du peintre.
Reste la question de la sensibilité particulière de Courbet.
On a voulu lui dénier cette sensibilité. Je crois avoir prouvé, par la force de peinture qui est en lui, que c'est peine perdue de définir cet homme un organisme grossier, opaque, indifférent, pourquoi pas sourd, muet et aveugle ? S'il en était ainsi, nous ne trouverions pas sur ses toiles que des paysages et des portraits sans interprétation, des représentations sèches et sans vie des choses et des êtres, une sorte de compte rendu ou de bilan des détails qu'il aurait relevés avec une patience de comptable et une rectitude de géomètre. Il y a beaucoup de toiles ainsi exécutées par des peintres qui ne sont que des peintres incomplets, qui ne sont pas, en tout cas, des artistes. C'est que l'art de la peinture, traité superficiellement d'art superficiel par beaucoup, est un art épouvantablement difficile, et que l'on n'a pas trop d'admiration pour ceux qui le possèdent, ni trop d'indulgence pour ceux qui essayent seulement de le pénétrer. II y faut, en effet, non seulement la connaissance, l'étude savante des parties, mais la subordination des parties à l'ensemble, la coordination patiente et la synthèse géniale.
Courbet, dans toutes ses œuvres, même celles qui ne sont que des morceaux, indique qu'il possède les dons nécessaires à l'étude savante et la préoccupation intelligente de l'ensemble. Dans ses chefs-d'œuvre, grandes réunions humaines et paysages, il prouve victorieusement sa pénétration et son génie, il atteint le but de la peinture, il exprime, il ressuscite la vie, il lui donne l'immortalité possible par la forme, le modelé, la couleur, l'expression.
Quelle est donc cette sensibilité de Courbet, qu'il faut lui accorder, mais que ses détracteurs, forcés dans leurs retranchements, voudraient sans doute classer comme inférieure, parmi les sensibilités de mauvais aloi, les sensibilités vulgaires. On établit ce jugement en faisant la caricature de Courbet, parce qu'il était gros, qu'il se plaisait à la brasserie, qu'il buvait beaucoup de bière, qu'il était théoricien et vaniteux, qu'il fît partie de la Commune, qu'il fut condamné à payer les frais de reconstruction de la Colonne, etc., etc.
Ces jugements sommaires peuvent contenir une part de vérité, mais ils ne contiennent pas toute la vérité. Tout cela serait rigoureusement vrai sur Courbet qu'il n'y en aurait pas moins en Courbet un être intérieur, plus difficile à définir, mais qui s'avoue heureusement par les grandes et belles pages qu'il a laissées. C'est le cas de nombre d'écrivains, de poètes, d'artistes, et des plus grands ; un seul autre exemple, Verlaine. Tout d'abord, l'homme, en Courbet, d'après le témoignage de ceux qui l'ont connu et aimé, fut un excellent homme, candide et désintéressé, de nature aimante, de dévouement parfait. Il était la bonté même pour les jeunes artistes qui l'approchaient, et j'ai sur ce point le témoignage de Claude Monet, qui ne prononce le nom de son maître qu'avec le respect et l’émotion du souvenir. Au surplus, on trouvera le vrai Courbet dans la biographie publiée chez l’éditeur Floury : Gustave Courbet par Georges Riat, très bon livre, simple, exact de récit, excellent, d’analyse, qui fait regretter la disparition de l’auteur, frappé avant la publication de cette belle étude, qui représente le travail des dernières années de sa vie.
La vérité, c’est que Courbet fut un magnifique instinctif, et que le caractère rusé que l’ont voulut démêler en lui ne se trouva pas de taille à lutter contre les difficultés et les vilenies sociales qu’il trouva sur sa route. Il mourut vaincu, cela est certain, abîmé par la calomnie, écrasé par la dette, frappé dans sa vie et dans son art, mais on espère pour lui que la fameuse vanité de sa jeunesse et de son apostolat, où il entrait vraiment une bonne humeur plaisante, a été remplacée, lorsque l’artiste vit s’approcher les ombres de la mort, par un orgueil légitime, par la conscience d’avoir inscrit le meilleur de soi-même au livre de l’avenir.
La personnalité de Courbet, dégagée de tous les racontars, de toutes les polémiques, est puissante et fine. Elle n’est pas puissante et fine à la manière d'un Léonard de Vinci ou de Rembrandt, cela va sans dire, mais à la manière de Courbet. Celui-ci doit à ses devanciers, et l'on trouverait chez lui des traits de famille qui le rattacheraient aux Vénitiens et aux Espagnols, aux Flamands et aux Hollandais, et en France aux Lenain. Mais son individu est français, et français du XIXe siècle. C'est un paysan bourgeois issu de la société de la Révolution, et il a tout naturellement fait figurer ses ancêtres dans l’Enterrement à Ornans. De même il a délicieusement représenté la grâce et le charme de la vie provinciale telle qu'il la connaissait dans les Demoiselles de village, dans l’Après-midi à Ornans, dans tel portrait de dormeuse ou de femme au chapeau fleuri. A Paris, il voit les aspects de la vie sociale littéraire et artistique, avec les yeux particuliers d'un franc-comtois devenu chef d'école dans la capitale : L’Atelier, si splendide, est renseignant à cet égard, et aussi les portraits de Proudhon, de Vallès, les évocations violentes des Casseurs de pierres, du Mendiant. Et il y a toujours, chez lui, un paysan robuste et délicat qui frissonne d'aise et d'émotion devant les décors de la nature, devant les manifestations de la vie animale. De quelle beauté secrète il a orné ses toiles lorsqu'il représente les sources cachées dans les bois, les rochers ruisselants d'eau, les feuilles vertes et mouillées, les trous des grottes et des feuillages, les rayonnements du soleil parmi les ombres de la forêt, sur le ruisseau qui coule à travers les pierres ! Avec quelle ivresse il peint cette solitude, et quelle émotion l'anime lorsqu'il voit entrer la biche ou le chevreuil, qui vient à pas légers mordiller les jeunes pousses et boire au clair ruisseau.
C'est là aussi, dans cette ombre et ce mystère, qu'il déshabille ses plantureuses Baigneuses, femmes de campagne sans malice en lesquelles on n'a voulu voir que les amazones combattantes du réalisme.
Quelle puissance encore lorsque Courbet peint la Forêt en hiver, les rocs énormes chargés de neige, les arbres noirs et l'animal hésitant sur le sol glacé ! De même, il parcourt l'étendue, fixe le cours des rivières, les masses des collines, les mamelonnements d'arbres, les surgissements de rochers. Peintre de la mer il a su indiquer la grandeur de l'Océan, le mouvement rythmé des vagues, leur force massive et leur fluidité.
Devant ses marines, on connaît le souffle du large, on voit voltiger les embruns, on suit l'oscillation des barques abaissées et relevées par les lames.
Par ses paysages, comme par ses scènes d'existence, par ses portraits, Courbet a donc prouvé qu'on pouvait atteindre au beau, à la puissance, à la grâce, en s'inspirant fortement et respectueusement des formes visibles.
Il comprend, il choisit, mais il n'arrange pas, il n'invente pas : il sait que le réel dépasse toujours les combinaisons et toutes les prétentions.
Il a prouvé que les réalistes pouvaient dégager la poésie des choses, qu'ils savaient rendre les sentiments les plus forts et les plus délicats.
Cela suffit à la gloire de ce grand artiste qui a su représenter l'homme et la nature avec l'intelligence et l’émotion d'un esprit lucide et enthousiaste.
GUSTAVE GEFFROY
Nous proposons dans cette rubrique une biographie complète de la vie du peintre Gustave Courbet qui est la reprise du texte intégral du livre :
Les Peintres Illustres - Courbet - Pierre Lafitte & Cie - Editeurs
A des fins de lecture plus facile, ce texte a été découpé en plusieurs chapitres pour lesquels un titre a été ajouté. Le texte quant à lui est celui d'origine publié intégralement.