L'atelier du Peintre tableau de Gustave Courbet

Courbet modèle pour lui-même

Les œuvres de Courbet, durant cette période, sont contradictoires : le classique y voisine avec des tentatives de réalisme. Le jeune peintre n'a pas encore trouvé sa voie. Beaucoup de paysages et de sujets de genre. Mais c'est dans le portrait qu'il affirme déjà une vigoureuse personnalité. Les portraits de ses sœurs sont des œuvres puissantes qui peuvent aujourd'hui figurer sans faiblir à côté de ses meilleures productions. Ce sont : Zoé Courbet, de profil, appuyant sa tête pensive sur sa main droite ; Juliette Courbet, dont nous donnons ici la reproduction, assise de trois quarts dans un fauteuil canné, sous une draperie, près d'un pot de géraniums.

Le succès obtenu auprès des connaisseurs par ces portraits incita Courbet à pratiquer ce genre ou, pour être plus exact, à faire entrer le plus possible de portraits dans les tableaux qu'il peignait. C'est à cette époque qu'il commence à se peindre lui-même dans la plupart de ses tableaux. Il est peu d'œuvres de lui, comportant des personnages, où ne se trouve sa propre image, traitée d'ailleurs avec une évidente complaisance. On le lui a reproché comme une preuve irrécusable de son immense vanité. Ses admirateurs répondent à cela que très pauvre à ses débuts, il n'avait pas les ressources nécessaires pour payer un modèle. L'argument a sa valeur; il en aurait davantage si les tableaux où Courbet s'est représenté lui-même dataient tous de cette période de gêne. Il n'en est pas ainsi. L'artiste, devenu célèbre, n'en continua pas moins à se peindre avec la même régularité. Il faut donc convenir qu'il avait de sa personne une opinion avantageuse dont il donna, au cours de sa vie, d'assez nombreuses preuves.

Portrait de jeune fille tableau de Gustave Courbet
Portrait de jeune fille

Hâtons-nous d'ajouter que cette opinion, quelque mesquine qu'elle puisse paraître, ne manquait pas de fondement. Courbet avait réellement une tête intéressante, avec ses cheveux souples encadrant un front bas et bien dessiné, avec des yeux profonds où brûlait constamment une flamme intelligente. Ses joues pleines et jeunes disaient la robustesse de la race; la bouche fine attestait l'ironie et le dédain habituels ; quant au menton, vigoureusement taillé, il trahissait l'énergie, le besoin de paraître, l'irréductible ténacité, d'autres disent l'entêtement qui le distinguèrent toujours. L'ensemble du visage avait une beauté réelle et Courbet, qui ne l'ignorait pas, se complaisait, nouveau Narcisse, à se mirer dans ses propres tableaux. Plusieurs fois, au cours de sa vie, il modifia son port de barbe, la coupe de ses cheveux, et chaque fois il consigna sur la toile, pour la postérité, ces changements de parure.

Vers 1844, dans tout l'éclat de ses vingt-cinq ans, il portait une barbe soyeuse et clairsemée qui donnait à sa tête régulière et belle un cachet de romantisme alors fort à la mode.

C'est sous cette forme qu'il s'est représenté dans le Portrait au chien noir qui lui ouvrit pour la première fois les portes du Salon.

A ce moment, Courbet n'avait pas encore le mépris ni la haine des Académies et des jurys de Peinture. Son admission au Salon lui causa une véritable joie et une légitime fierté. Avec quel orgueil il annonce la nouvelle à son père et comme il lui plaît de lui prouver combien ses éternels reproches sont injustes !

Au surplus, le Portrait au chien noir est une œuvre remarquable, traitée d'une main vigoureuse et savante. Il s'est représenté assis à l'ombre d'un rocher dans un costume romantique, ayant auprès de lui un chien noir. Derrière ce premier plan, volontairement sombre, se détache un paysage admirablement lumineux.

La critique fut unanime à louer ce tableau. Aucune divergence ne se manifesta.

Courbet au chien noir tableau de Gustave Courbet
Courbet au chien noir